Rarement Vie et Oeuvre

auront été aussi indissociables :

1431 ou 32 en pleine guerre de cent ans (l'année même où les anglais brûlèrent Jeanne d'Arc, la libératrice d'Orléans en 1429) naît François de Montcorbier ou Des Loges, qui ne prendra le nom de Villon qu'après la mort de son père : le chanoine Guillaume de Villon le recueille alors petit enfant et l'élève au sein de la communauté ecclésiastique de Saint-Benoît-le-Bétourné (sise à Paris dans le Quartier Latin car on y étudiait en latin) dont il est le puissant chapelain.

Éternellement reconnaissant envers ce "plus que père", il rentre à la Faculté des arts de la Sorbonne et en sort avec une maîtrise ès artsle 26 août 1452.

Suite aux graves troubles estudiantins du début des années 1450 (auxquels il a sûrement participé), les cours sont suspendus pendant un an jusqu'en 1454 ! C'est pendant cette année d'oisiveté (mère de tous les vices !) que des mauvaises fréquentations, mais peut-être aussi des mauvais penchants, font dévier le destin tout tracé de François Villon: il fuit l'École seulement en tant que clerc avant d'obtenir un titre lui aurait permis de gagner aisément (bien qu'honnêtement !) sa vie. Il le regrettera amèrement plus tard dans son "Testament", au huitain XXVI.

Il ne faut pas se laisser trop abuser par l'inévitable exagération poétique : sa maîtrise ès arts ne cessa d'enrichir son œuvre d'un savoir étendu. Telle en témoigne la succession de références historiques (la "ballade énumérative" était alors un genre très prisé) de la Ballade des dames du temps jadis, mise en musique beaucoup plus tard par Georges Brassens(consultez les ouvrages de la bibliographie pour l'élucidation des références qui jonchent cette ballade).

Les neiges d'antan ont fondu : en 1453 le contexte historique a radicalement changé d'un bout à l'autre de la course du soleil : à l'Occident, la reprise définitive de Bordeaux aux anglais met fin à la guerre de cent ans, et à l'Orient, la prise de Constantinople par les turcs balaye les derniers restes de l'Empire romain. L'Antiquité prolongée et le Moyen-âge étiré cèdent alors la place aux Temps modernes tandis que paraît le premier ouvrage imprimé, desserrant la mainmise des élites sur le savoir : la Bible de Gutenberg. Le cours de l'histoire s'infléchit mais pour notre poète, la descente continue.

Déjà privé de la perspective d'avoir "maison et couche molle", un sort peu favorable achève de pousser la vie de François Villon définitivement hors des sillons de la normalité :

- le soir du 5 juin 1455, il blesse mortellement d'un coup de dague (et d'un jet de pierre) le prêtre Sermoise qui venait de l'attaquer sournoisement avec la sienne. S'étant arraché des bras du compagnon du prêtre qui le retenait, François Villon devient alors Michel Mouton le temps de faire soigner chez un barbier ses lèvres fendues par la dague de Sermoise. Mais juste avant de mourir, ce dernier lui pardonne et émet le souhait devant l'enquêteur qu'on ne poursuive pas Villon. Deux lettres de rémissions lui permettront de revenir à Paris, mais seulement après nombre de suppliques et huit mois de cavale, en février 1456 ! Année de clémence : Jeanne d'Arc est réhabilitée, elle n'est plus considérée comme hérétique !

- de l'extrême fin 1456 à l'été 1462, il commence, fort à propos, à mener une vie de bohème à travers la France : un de ses compères trop bavard, Guy Tabarie, est arrêté et révèle (bien qu'il se rétractera plus tard) d'une part, la participation de Villon au cambriolage du Collège de Navarre pendant la Noël 1456 (bien que François ait empêché ses complices de prendre plus de 500 écus !) et d'autre part, son projet qu'il leur avait confié de dévaliser un riche ecclésiastique à Angers. En fait, Villon veut neutraliser ses compagnons le temps, en vivant sur sa part du butin, de se faire admettre à la cour d'Angers auprès du seigneur et poète René d'Anjou.

Avant de partir fin 1456, il compose pour ses amis clercs le "Lais" (le legs), long poème de quarante strophes de huit vers de huit syllabes (huitains d'octosyllabes sur trois rimes), s'inspirant de la tradition poétique des "Testaments" et surtout des "Congés": à cette époque, on ne revenait pas toujours à coup sûr de ses voyages !

Dans les sept premiers huitains, il justifie son départ pour Angers par la fuite d'une maîtresse cruelle : huitain V et VI.

Mais cette maîtresse, effectivement cruelle et dure à l'époque, n'est autre que la Justice elle-même ! Bien que le cambriolage du Collège de Navarre ne sera découvert que plusieurs mois plus tard, il est plus prudent de s'éloigner, surtout que sa part de 120 écus lui permet enfin d'aller tenter sa chance à la cour d'Angers (Fuir le danger pour la cour d'Angers !).

Les Legs proprement dits commence àla neuvième strophe. Il y laisse en fait, pour le plaisir comique de les ridiculiser, surtout des cadeaux empoisonnés à ses ennemis et des dons grotesques à d'autres, connus ou déjà naturellement ridicules (ce qui est loin d'être incompatibles !). La suite de sa vie ne rendra son ironie que plus amère...

Mal reçu à la cour angevine mais ne pouvant regagner Paris, il redirige ses espoirs à Blois vers la cour du puissant seigneur Charles d'Orléans qui, lui, est devenu pendant ses vingt-cinq ans de captivité en Angleterre (1415 - 1440) un authentique poète. Un de ses plus célèbres poèmes est ce rondeau : "Le Temps a laissé son manteau...".

Il est bien accueilli et même reconnu mais ne peut pas s'y établir définitivement. Reste de son passage trois poèmes, dont une ballade participant au concours que lançait le seigneur-poète de la cour de Blois à ses "frères d'armes" sur le thème : Je meurs de soif auprès de la fontaine.

-> Refrain cruel : de nouveau sur les chemins de France, on le retrouve ensuite notamment à Bourges où il se dit agressé par des langues "ennuyeuses" c'est-à-dire méchantes - et sans doute jalouses ; comme à son habitude, il leur répliquera plus tard par une ballade vengeresse, une véritable explosion de haine ! Fuyant de tels persiflages, il reprend sa vie errante.

A-t-il appartenu à l'organisation criminelle nationale des Coquillards ? A-t-il plutôt été le compagnon de route d'amuseurs publics dans leur pérégrination de ville en ville ? Toujours est-il qu'il se retrouve enfermé pendant tout l'été 1461 dans les prisons de l'évêque d'Orléans, Thibault d'Aussigny, à Meung-sur-Loire. Il bénéficie du passage dans la ville début octobre du tout nouveau roi Louis XI qui selon une tradition, jamais démentie depuis, lui apporte l'amnistie d'une peine pour laquelle on se perd encore en conjectures. Il est en tout cas fort probable qu'on l'ait déchu de sa qualité honorable de clerc !

Il sort profondément révolté par cette incarcération (qu'il juge) injuste, comme en témoigne sa chanson.

Après un passage à Moulins, il revient s'établir prudemment dans les environs de Paris, de peur d'être arrêté pour le vol des 500 écus du Collège.

Brisé par les épreuves, le temps n'est plus au "Lais" mais bel et bien au "Testament", son chef-d'œuvre qu'il écrit à la fin 1461 (en réalité en 1462 car à cette époque l'année durait jusqu'au début du printemps !).

Il se décompose, le verbe est de circonstance, en deux parties manifestes :

- dans la première, en se penchant amèrement sur son parcours, il épanche les blessures et les regrets de son âme, débouchant fatalement sur une réflexion sur la vieillesse et la mort, révoquant même l'illusion amoureuse en tant que consolatrice véritable. Mais peut-être est-ce de la pudeur de sentiments ? Il donne en effet un des plus beaux poèmes d'amour à Ythier Marchand pour chanter ses amours passées (certains insinuent même que lui et Villon auraient été amants : la pudeur serait en fait de la prudence !)

- dans la seconde, il reprend le procédé du "Lais" en le dépassant :

En effet, sa moquerie a pris un ton très dur, allant jusqu'à l'injure : elle ne fait qu'épouser les contours acérés de sa vie.

Peu de gens trouve grâce à ses yeux et, pauvre qu'il est, il ne peut donner que des poèmes comme cette ballade à sa mère illettrée (mais qui lui la lira ?) pour qu'elle puisse prier. Sa naïveté touchante et tragique atteint le sublime.

L'Histoire - décidément ironique avec lui ! - voudra que les poésies diverses qu'il n'a pas pu (étant perdues ou postérieures) ou voulu inclure dans son "Testament", une fois retrouvées et regroupées en édition posthume, comptent parmi ses plus admirées !

La rédaction de testament poétique ne calme pas longtemps ses "tendances aventureuses" : il se retrouve à nouveau emprisonné à l'automne 1462, cette fois, au Châtelet, pour vol. Avant d'être libéré le 7 novembre 1462, l'Église, peu amnésique, lui fait promettre de restituer sa part de 120 écus sur les 500 dérobés en 1456. Peine perdue, peine regagnée :

un des trois hommes avec qui il sort ce soir, Rogier Pichart, provoque une bagarre avec un notaire, Maître Ferrebouc, et ses clercs. Un compagnon de Villon blesse légèrement le notaire d'un coup de dague. Tous s'enfuient... et les fautifs plus longtemps que d'autres : arrêté plus tard, François Villon, en leur absence, paye pour eux (ils seront par la suite retrouvés et condamnés). De retour au Châtelet, où sa place était encore chaude, on la lui refroidit en lui appliquant le supplice de l'eau (on gavait de litres d'eau le "suspect" jusqu'à ce qu'il avoue sa culpabilité). La dextérité de ses tortionnaires et les "entrées" de Ferrebouc au Châtelet le conduisent aux portes du gibet : condamné à être pendu et étranglé sur la butte de Montfaucon. Il fait appel mais seul son humour noir, très noir*, le "rassure", notamment dans un quatrain fameux,

* La palme de l'humour noir le plus "triomphant" revient néanmoins au Duc de Chârost qui, en pleine Terreur révolutionnaire, lorsqu'on vint le chercher dans son cachot pour lui trancher la tête d'une lame biaisée, corna la page du livre qu'il était entrain de lire !

ou encore dans cette (selon la tradition)épitaphe encore plus célèbre.

Pourtant, il est sauvé de justesse : l'appel est passé ! Le "clerc de guichet" (chargé du registre d'écrou) qui l'avait conseillé de ne pas faire appel en sera puni d'une ballade incontestable.

Il échappe à la corde, heureux de contredire ses visions macabres, mais "eu égard à sa mauvaise vie", on le bannit pour dix ans de Paris. Il obtient néanmoins un délai pour se préparer et faire ses adieux aux siens. A partir du 8 janvier 1463, à 31 ans, on ne sait plus rien de lui.

Mais étant donné l'espérance de vie de l'époque (épidémies, insécurité, injustice, etc.) - et même de la nôtre, il est peu probable qu'il soit encore en vie de nos jours, bien que moult auteurs, tel Rabelais, en aient fait dès lors un personnage légendaire ! Une vie aussi aventureuse ne pouvait finir ainsi, ou plutôt ne pas avoir de fin... si François Villon n'avait déjà prévu son mystère dans la Ballade des menus propos.

Ne reculant devant aucune honte, je, ni ne laisse, ni ne donne, mais dédie ici à François Villon une ballade résumant sa vie dans le style de l'époque bien que rédigée en français moderne - elle est évidemment adressée à la déesse du Destin (Fortune).Et vous êtes bien sûr entièrement libres de ne pas y aller jeter un coup d'oeil !

Le mieux reste encore de laisser Villon conclure lui-même par son épitaphe proprement dite, qu'il anticipa dans son "Testament"...

... et de faire siens ses vers au moment de partir comme le chante Georges Brassens dans "Le moyenâgeux".


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