Ballade
(De l'ancien verbe français BALLER (DANSER) )
Du XIVe jusqu'au XVIe siècle,
après avoir acquis sa forme définitive
avec Guillaume de Machaut et Eustache Deschamps,
la Ballade fut la forme privilégiée de la Poésie médiévale.
De par ses origines intrinséquement musicales,
elle a su porter l'envol de nos premiers poètes lyriques.
Les Romantiques "formalistes"("Le Parnasse"),
toujours à la recherche d'une forme fixe idéale,
la tireront de l'oubli au XIXe.

Elle rassemble tout d'abord trois groupes de vers (strophes ou couplets) comportant autant de vers que ceux-ci comportent de syllabes(strophes carrées, majoritaires depuis Jean Molinet).

La petite Ballade s'écrivant en vers de huit syllabes (octosyllabes), les trois strophes comptent donc huit vers (huitains),
tandis que la grande Ballade placent ces vers de dix syllabes (décasyllabes) dans des groupes de dix vers (dizains).
Ces trois strophes coulées dans le même moule finissent par le même vers (refrain) et reproduisent une disposition de rimes identique : le poème entier doit reposer sur seulement trois rimes !

Néanmoins, l'incompatibilité entre un système rigide sur trois rimes et leurs dispositions dans des strophes de longueurs(ou plutôt de hauteurs) différentes conduit à un schéma de rimes forcément lui aussi différent entre la petite et la grande Ballade, bien que le principe soit le même : renversement de la dispostion des rimes pour la seconde moité de la strophe.

Pour les huitains de la petite Ballade
le pivot est assuré par deux rimes suivies 
(ici b, C = Refrain)
a 
b 
a 
b 
--- 
b 
c 
b 
C
soit pour les trois strophes

abab-bcbC abab-bcbC abab-bcbC.

Pour les dizains de la grande Ballade
on est obligé de multiplier le nombre 
de rimes suivies pour opérer 
le renversement
a 
b 
a 
b 
b 
--- 
b 
b 
c 
b 
C

Cliquez sur
Grande Ballade
pour en voir une
que j'ai conçue
selon ce schéma originel...

soit pour les trois strophes

ababb-bbcbC ababb-bbcbC ababb-bbcbC.

Mais la succession 
de quatre rimes identiques 
étant monotone
on a préféré à raison 
introduire une quatrième rime (d)
a 
b 
a 
b 
b 
--- 
d 
d 
c 
d 
C
soit pour les trois strophes

ababb-ddcdC ababb-ddcdC ababb-ddcdC.

Les deux moitiés sont bien 
formellement renversées 
c-à-d symétriques horizontalement 
("en miroirs"), 
mais elles n'ont plus les mêmes rimes.

a, b / d, c

La Ballade se conclue par un envoi qui répète en écho la forme de la seconde moitié des strophes :

  • petite Ballade : bcbC.
  • grande Ballade : ddcdC.
Cet envoi est destiné au dédicataire nommé tout au début.

Son rôle ira en s'amplifiant autant dans son contenu que dans sa forme,
au point d'en faire parfois le point culminant du poème :

 

En ajoutant l'Envoi aux trois couplets, 
on obtient alors les structures complètes suivantes


Petite Ballade : abab-bcbC abab-bcbC abab-bcbC bcbC

Exemple : Ballade des menus propos  de François Villon
1 2 3 4 5 6 7 8
Je con nais bien mou ches en lait

= Huitains d'Octosyllabes

I.
1 - Je connais bien mouches en LAIT, Première moitié a
2 - Je connais à la robe l'hOMME, abab- b
3 - Je connais le beau temps du LAID, a
4 - Je connais au pommier la pOMME, Rimes b
5 - Je connais l'arbre à voir la gOMME, "pivot" Seconde moitié b
6 - Je connais quand tout est de MÊMES, -bcbC c
7 - Je connais qui besogne ou chÔME, b
8 - JE CONNAIS TOUT, FORS QUE MOI-MÊMES. (REFRAIN) C
II.
1 - Je connais pourpoint au colLET, Première moitié a
2 - Je connais le moine à la gONNE, abab- b
3 - Je connais le maître au vaLET, a
4 - Je connais au voile la nONNE, Rimes b
5 - Je connais quant pipeur jargONNE, "pivot" Seconde moitié b
6 - Je connais fols nourris de crEMES, -bcbC c
7 - Je connais le vin à la tONNE, b
8 - JE CONNAIS TOUT, FORS QUE MOI-MÊMES. (REFRAIN) C
III.
1 - Je connais cheval et muLET, Première moitié a
2 - Je connais leur charge et leur sOMME. abab- b
3 - Je connais Bietris et BeLET, a
4 - Je connais jet qui nombre et sOMME. Rimes b
5 - Je connais vision et sOMME, "pivot" Seconde moitié b
6 - Je connais la faute des BohEMES, -bcbC c
7 - Je connais le pouvoir de ROME, b
8 - JE CONNAIS TOUT, FORS QUE MOI-MÊMES. (REFRAIN) C
Envoi
1 - Prince, je connais tout en sOMME. (Dédicataire) (Seconde moitié) b
2 - Je connais colorés et blÊMES, bcbC c
3 - Je connais Mort qui tout consOMME, b
4 - JE CONNAIS TOUT, FORS QUE MOI-MÊMES. (REFRAIN) C


Grande Ballade : ababb-ddcdC ababb-ddcdC ababb-ddcdC ddcdC

Exemple : Ballade des pendus  de François Villon
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Frè res  hu mains  qui  a près  nous  vi vez

= Dizains de Décasyllabes

I.
1 - Frères humains qui après nous vivez, Première moitié a
2 - N'ayez les cœurs contre nous endurcis, ababb- b
3 - Car, si pitié de nous pauvres avez, a
4 - Dieu en aura plus tôt de vous mercis, b
5 - Vous nous voyez (i)ci attachés cinq, six : Rimes b
6 - Quant à la chair, que trop avons nourrie, "pivot" Seconde moitié d
7 - Elle est pieça dévorée et pourrie, -ddcdC d
8 - Et nous les os, devenons cendre et poudre. c
9 - De notre mal personne ne s'en rie ; d
10 - MAIS PRIEZ DIEU QUE TOUS NOUS VEUILLE ABSOUDRE ! (REFRAIN) C
II.
1 - Si frères vous clamons, pas n'en devez Première moitié a
2 - Avoir dédain, quoique fûmes occis ababb- b
3 - Par justice. Toutefois, vous savez a
4 - Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis ; b
5 - Excusez-nous, puisque nous sommes transsis, Rimes b
6 - Envers le fils de la Vierge Marie, "pivot" Seconde moitié d
7 - Que sa grâce ne soit pour nous tarie, -ddcdC d
8 - Nous préservant de l'infernale foudre. c
9 - Nous sommes morts, âme ne nous harie ; d
10 - MAIS PRIEZ DIEU QUE TOUS NOUS VEUILLE ABSOUDRE ! (REFRAIN) C
III.
1 - La pluie nous a débus et lavés, Première moitié a
2 - Et le soleil desséchés et noircis ; ababb- b
3 - Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés, a
4 - Et arraché la barbe et les sourcils. b
5 - Jamais nul temps nous ne sommes assis ; Rimes b
6 - Puis *çà, puis là, comme le vent varie, "pivot" Seconde moitié d
7 - À son plaisir sans cesser nous charrie, -ddcdC d
8 - Plus béquetés d'oiseaux que dés à coudre. c
9 - Ne soyez donc de notre confrérie ; d
10 - MAIS PRIEZ DIEU QUE TOUS NOUS VEUILLE ABSOUDRE ! (REFRAIN) C
Envoi
1 - Prince Jésus, qui sur tous à maistrie, (Dédicataire) (Seconde moitié) d
2 - Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie : -ddcdC d
3 - À lui n'ayons que faire ni que soudre. c
4 - Hommes, ici n'a point de moquerie ; d
5 - MAIS PRIEZ DIEU QUE TOUS NOUS VEUILLE ABSOUDRE ! (REFRAIN) C

Rondeau
(D'après la danse la Ronde, qu'il accompagnait de son chant)

Autour du mot Rondeau gravitent
les formes de poèmes courts les plus répandues du Moyen-Âge,
et ce jusqu'au XVIe siècle.

Depuis sa mise au point au XIVe
par le poète-compositeur Guillaume de Machaut,
sa terrible efficacité a séduit
- même bien après son "âge d'or" -
nombre de poètes
tels Mallarmé et Musset.

Cette efficacité tient à sa très forte structuration qui permet d'unir et de condenser à l'extrême, autour de puissantes lignes de forces, quelques vers pour en faire un poème mémorable :
modèle de brièveté et de productivité se prêtant particulièrement bien à l'Improvisation et la Création spontanée ! L'Éphémère prend ici les traits imparables de l'Éternité. Un élan figé dans le marbre.
Quant à la Satire, elle n'en devient que plus implacable.

Cette prouesse est, comme souvent, réalisée à l'aide du procédé de "l'Éternel Retour":
les puissantes lignes de forces autour duquel s'articulent le poème, ce sont les simples répétitions, à des endroits stratégiques, d'une partie du premiers vers (Rondeau proprement dit), ou du premier et/ou du second tout entier (Rondel et Triolet). (Peut-être la désignation d'un poème sans titre par son début (Incipit) vient-elle de là...)


Rondeau simple

Se restreignant à seulement deux rimes (A et B), il se compose de trois groupes (strophes) de vers de huit syllabes (octosyllabes) ou de dix (décasyllabes) :

Sur cet exemple de François Villon,
notez l'utilisation caractéristique chez lui de la ponctuation
pour changer le sens du rentrement.

Exemple : Chanson (Rondeau simple)  de Villon
1 2 3 4 5 6 7 8
Au  re tour  de  du re  pri son
= Octosyllabes
I. (Rentrement)
1 - Au retour de dure prison a
2 - Où j'ai presque laissé la vie, b
3 - Si Fortune a sur moi envie b
4 - Jugez s'elle fait méprison ! a
II.
1 - Il me semble que, par raison, a
2 - Elle dût bien être assouvie b
Au retour. Rentrement
III.
1 - Si si pleine est de déraison a
2 - Que veuille que du tout dévie, b
3 - Plaise à Dieu que l'Âme ravie b
4 - En soit lassus, en sa maison, a
Au retour ! Rentrement

Pour d'autres exemples,
allez voir notre mini-anthologie de François Villon :
(vous pouvez cliquez ci-dessus sur son nom).


Rondeau double :

Toujours sur deux rimes (A et B) avec des vers de huit syllabes (octosyllabes) ou de dix (décasyllabes), il ajoute cependant à chaque groupe (strophe) un vers dont la rime double la première de chaque strophe :

Cette variante l'a emporté finalement sur toutes les autres
grâce notamment au talent de Clément Marot.

L'exemple qui suit est d'autant plus intéressant
qu'il donne la définition du Rondeau simple
dans la forme même de sa définition !

Exemple : Rondeau double  de Voiture
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Ma  foi,  c'est  fait  de  moi,  car  I sa beau
= Décasyllabes
I. (Rentrement)
1 - Ma foi, c'est fait de moi, car Isabeau a
2 - M'a conjuré de lui faire un Rondeau. a
3 - Cela me met dans une peine extrême. b
4 - Quoi ! treize vers, huit en eau, cinq en ême !       b
5 - Je lui ferais aussi tôt un bateau. a
II.
1 - En voilà cinq pourtant en un morceau. a
2 - Faisons-en sept en invoquant Brodeau, a
3 - Et puis mettons, par quelque stratagème :
Ma foi, c'est fait. Rentrement
III.
1 - Si je pouvais encor de mon cerveau a
2 - Tirez cinq vers, l'ouvrage serait beau. a
3 - Mais cependant me voilà dans l'onzième, b
4 - Et si je crois que je fais le douzième, b
5 - En voilà treize ajustés de niveau. a
Ma foi, c'est fait. Rentrement


Triolet ou Rondel simple

C'est à partir de cette forme extrêmement ramassée
qu'on a ensuite évolué par amplification vers le Rondeau.

Toujours divisé en trois et en vers octo- ou déca-syllabes sur deux rimes, la différence la plus importante est la répétition qui s'applique non plus à une partie du début du premier vers mais à une combinaison variable des deux premiers vers tout entier.
La légèreté et la très grande "lisibilité" du Triolet permet sans problèmes de telles réitérations :


Exemple : Rondeau (Triolet)  de Villon
1 2 3 4 5
Je nin  l'A ve nu
= Pentasyllabes
I. = Refrain variable
1 - JENIN L'AVENU A     Refrain
2 - VA T'EN AUX ÉTUVES, B     Refrain
II.
1 - Et toi la venu, a
2 - JENIN L'AVENU, A     Refrain
III.
1 - Si te lave nu a
2 - Et te baigne es cuves. b
3 - JENIN L'AVENU, A      Refrain
4 - VA T'EN AUX ÉTUVES. B      Refrain

Comme toujours, la légèreté de la forme a conduit souvent à la légèreté du sujet traité...
jusqu'à Mallarmé lui-même !

Notons en tout : cinq vers différents / un poème de huit vers... un véritable modèle d'économie !


Rondel

Presque identique au Rondeau simple, on peut dire qu'il combine "incestueusement" le Rondeau avec le Triolet :
seul le rentrement est remplacé par la répétition variable (inversée) des deux premiers vers.


Exemple :

Rondeau (Rondel)

de Charles d'Orléans
1 2 3 4 5 6 7 8
Le  temps  a  lais  son  man teau
= Octosyllabes
I.
1 - LE TEMPS A LAISSÉ SON MANTEAU A    Refrain
2 - DE VENT, DE FROIDURE ET DE PLUIE, B    Refrain
3 - Et s'est vêtu de broderie, b
4 - De soleil luisant, clair et beau. a
II.
1 - Il n'y a bête, ni oiseau, a
2 - Qu'en son jargon ne chante ou crie : b
3 - LE TEMPS A LAISSÉ SON MANTEAU A    Refrain
4 - DE VENT, DE FROIDURE ET DE PLUIE, B    Refrain
III.
1 - Rivière, fontaine et ruisseau a
2 - Portent, en livrée jolie, b
3 - Gouttes d'argent d'orfèvrerie, b
4 - Chacun s'habille de nouveau : a
5 - LE TEMPS A LAISSÉ SON MANTEAU A    Refrain
6 - DE VENT, DE FROIDURE ET DE PLUIE, B    Refrain

Il est ici important de signaler que la frontière entre Rondel et Rondeau peut être encore plus floue... voire illusoire :
en effet, les copistes du Moyen-Âge avaient l'habitude de ne marquer que le début d'un vers pour noter sa répétition !
Jugez par vous-mêmes : le poème suivant de Villon est traditionellement présenté comme un Rondeau mais il peut très bien s'apprécier en forme de Rondel. Les deux versions sont placées ici côte à côte.

Rondeau I. Rondel

Mort, j'appelle de ta rigueur,

Mort, j'appelle de ta rigueur,

Qui m'as ma maîtresse ravie,

Qui m'as ma maîtresse ravie,

Et n'es pas encore assouvie

Et n'es pas encore assouvie

Si tu ne me tiens en langueur :

Si tu ne me tiens en langueur :
II.

Onc puis n'eus force ni vigueur ;

Onc puis n'eus force ni vigueur ;

Mais que te nuisait elle en vie,

Mais que te nuisait elle en vie,
Mort ? Mort, j'appelle de ta rigueur ;
Qui m'as ma maîtresse ravie ?
III.

Deux étions et n'avions qu'un cœur ;

Deux étions et n'avions qu'un cœur ;

S'il est mort, force est que devie,

S'il est mort, force est que devie,

Voire, ou que je vive sans vie

Voire, ou que je vive sans vie

Comme les images, par cœur,

Comme les images, par cœur,
Mort ! Mort, j'appelle de ta rigueur !

On perd évidemment la puissance de la ponctuation originale,
mais on peut s'amuser à faire subir ce traitement à beaucoup de Rondels et Rondeaux...!


Rondel double

On atteint ici probablement la limite du principe : le quatrain initial est intégralement répété à la fin !


Rondeau parfait

Ceux qui prennent ces Temps reculés pour une époque de barbares en seront pour leurs frais :

voici une forme d'une extrême complexité qui nous permettra d'admirer la virtuosité de Clément Marot.


Exemple :

Rondeau parfait

de Clément Marot
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
En  li ber  main te nant  je  me  promène,
Décasyllabes
I. (Rentrement)
1 - EN LIBERTÉ MAINTENANT ME PROMÈNE, I.-1    A    Refrain
2 - MAIS EN PRISON POURTANT JE FUS CLOUÉ ; I.-2    B    Refrain
3 - VOILÀ COMMENT FORTUNE ME DEMAINE : I.-3    A    Refrain
4 - C'EST BIEN ET MAL. DIEU SOIT DU TOUT LOUÉ. I.-4    B    Refrain
II.
1 - Les envieux ont dit que de Noué
2 - N'en sortirais ; que la mort les emmène !
3 - Malgré leurs dents le noeud est dénoué :
4 - EN LIBERTÉ MAINTENANT ME PROMÈNE. I.-1    A    Refrain
III.
1 - Pourtant, si j'ai fâché la Cour Romaine,
2 - Entre méchants ne fus oncq alloué :
3 - De biens famés j'ai hanté le domaine,
4 - MAIS EN PRISON POURTANT JE FUS CLOUÉ. I.-2    B    Refrain
IV.
1 - Car aussitôt que fus désavoué
2 - De celle-là qui me fus tant humaine,
3 - Bien tôt après à Saint Pris fus voué ;
4 - VOILÀ COMMENT FORTUNE ME DEMAINE. I.-3    A    Refrain
V.
1 - J'eus à Paris prison fort inhumaine ;
2 - À chartres fus doucement encloué ;
3 - Maintenant vais où mon plaisir me mène :
4 - C'EST BIEN ET MAL. DIEU SOIT DU TOUT LOUÉ. I.-4    B    Refrain
VI.
1 - Au fort, amis, c'est à vous bien joué,
2 - Quand votre main hors du parc me ramène
3 - Ecrit et fait d'un coeur bien enjoué,
4 - Le premier jour de la verte semaine,

En liberté.

Rentrement


Au vu de tous ces exemples, la caractéristique la plus stimulante
de ces formes pour un créateur est évidemment
l'utilisation de la partie répétée
dans différents contextes et réseaux de significations
pour en changer (ou en creuser) le sens à chaque fois.